CÔTÉ COMPTOIR

Inde, Pondichéry chérie

L’imaginaire français habille Pondichéry d’heureuses nostalgies. La ville du sud-est de l’Inde raconte les ailleurs enchantés, les mémoires glorieuses, elle cultive avec ténacité le lien qui l’unit à la France depuis 1673. Et c’est bonheur.

Par Jean-Pierre Chanial
Pondichéry, façade de la ville française

Il y a cent ans, les écoliers de France savaient par cœur « nos » cinq comptoirs de l’Inde, Mahé, Karikal, Yanaon, Chandernagor et Pondichéry.  En 1957, Guy Béart les chante : Chandernagor (« elle avait un Chandernagor de classe »), Yanaon (« elle avait deux Yanaon ronds et frais », ajoutant son évidence : « pas question dans ces conditions d’abandonner les comptoirs de l’Inde ».)

Coquine reprise de Gréco

Au couplet final, l’affaire se gâte : « Elle avait le Pondichéry facile, aussitôt c’est à un nouveau touriste qu’elle fit voir son comptoir, sa flore, sa géographie, pas question dans ces conditions de revoir un jour les comptoirs de l’Inde ».

De nos jours, le wokisme bannirait l’outrage. Trop tard ! Juliette Gréco, pourtant peu fan des gloires impériales, en avait déjà susurré une très coquine reprise. La République validait l’audace, sachant les trésors de mixité bienveillante que la belle aime afficher.

Pondichéry, dieux éternels et dieux éphémères

Fresque romantique

De l’escale de la Compagnie des Indes, il reste un chromo sépia, pâli par les brumes du temps, une fresque romantique mêlant marins et marchands, épices, soieries et conquérants. Pondichéry n’a rien oublié. Elle sait que, noyée dans la ronde des saris et la marée d’un milliard et demi d’Indiens qui l’entoure, elle doit protéger la singularité que l’histoire lui a confiée. Elle le fait, sans forcer, avec une touchante simplicité.

Belles en saris colorés

Pondichéry est divisée en deux. Pour des raisons d’assainissement, un canal creusé en 1788 la traverse de part en part. L’eau a disparu, le corridor de pierre conforté de béton est devenu décharge à ciel ouvert trahissant un je-m’en-foutisme qui détonne dans un pays si soucieux de sa tenue. Quelle honte pour une ville au charme flamboyant lorsque défilent ses belles en saris colorés, toutes d’harmonie, d’élégance, de grâce.

Deux Pondichéry

Pondichéry, mémoire de France

Ce canal bordé au nord par la rue HM Kasin, au sud par N.S.C. Bose distingue de manière rectiligne les deux Pondichéry. D’un côté, la partie tamoule, jadis dite « noire », de l’autre, celle qu’on nomme encore « la ville blanche » par référence à son urbanisme colonial, à ses villas soignées, à ses avenues de mémoire, Debassyns de Richement, La Marine, Saint-Louis, Surcouf, Mahé de Labourdonnais… On ajouterait volontiers Dupleix à ce florilège tricolore mais la rue dédiée au gouverneur de la ville (1742) élevé au rang de nabab, porte désormais la gloire de Nehru.

Bain d’exotisme

Pondichéry en fleurs

Elle borde le grand bazar, haut-lieu de l’hyper-animation locale. Visite indispensable et pépite à selfie au milieu des étals de tout, fruits, bimbeloterie, contrefaçons, épices, offrandes, ustensiles de cuisine, fleurs, articles pour bébés, pharmacopée de grand-mère. Un vrai bain d’exotisme à prolonger dans les ruelles adjacentes, histoire de battre avec le pouls tamoul de ce brasier. La foule impressionne, perpétuel mouvement dans la moindre bousculade, la circulation épate, aucune règle sauf celle du chauffeur de tuk-tuk, de bus ou de moto, les boutiques défilent, vitrines, étals, tréteaux, les temples polychromes en rajoutent à chaque coin de venelle, les fidèles, mains jointes sur le front, se pressent en nombre sous les fumées d’encens. La magie indienne tient son rendez-vous.

Senteurs, saveurs, effluves

Le marché

Se laisser porter par l’animation, de suivre le pas pressé de devant avant de bifurquer en compagnie d’une maman au sari de laquelle se suspendent ses bambins, de tomber sur une halle au frais, senteurs, saveurs, effluves, de s’installer sur le banc d’une cuisinière de trottoir, commander un bol de poulet au curry, pause, savourer sans retenue les offrandes de la vie vraie.

Palmiers et arbousiers

Changement de décor dans le quartier d’européenne orthodoxie. Les allées plantées de palmiers et d’arbousiers suggèrent la promenade main dans la main. Le front de mer (avenue Goubert) joue les romantiques avec ses bancs posés face au large. Hélas, la vague est rude, pas question de se baigner.

Pondichéry, en famille, face au large

Sur la ligne d’horizon, file un cargo poussif, on imagine les flûtes de jadis quittant l’escale, les négociants tapotant la porcelaine et les ballots de soie. Les oiseaux de mer qui se moquent bien des souvenirs dansent avec les ors du couchant, les amoureux en redemandent.

Au rendez-vous des copines

7 000 passeports français

Evidemment, cette partie de Pondichéry, façades chics, balcons de pierre et jardinets fleuris, se fait plus atelier de créateur, boutique d’antiquités et restaurant branché qu’antre pour rafistolage de pétrolette poussive.

Souvenirs…

Les habitants (un million) cultivent le paradoxe. Indiens, oui, mais tendance lumières d’antan. Il reste ici près de 7 000 passeports français, demandés lors de la cession du territoire le 28 mai 1956.

Le français tient bon.

Les titulaires maintiennent haut le prestige de notre Lycée international, de notre Alliance, de la basilique du Sacré-Cœur, du palais de justice, du cimetière des Capucins où repose un certain Lhuillier depuis 1704.

Dans la rue du quartier français

Ultime délicatesse du gouvernement de New Delhi, le français, désormais assez peu parlé, reste langue co-officielle locale avec le tamoul. Et que dire du plat-roi des cuistots locaux, le steak « grilled pomfrêt » ? Pas question, dans ces conditions…

Façade de la ville française

Y aller. Air France et Air India assurent des liaisons directes quotidiennes entre Paris et Madras, l’aéroport international le plus proche de Pondichéry.

Y loger. Dans la partie tamoule, Maison Perumal, l’ancienne demeure d’un marchand indien transformée en boutique-hôtel de total charme. Les vélos sont gracieusement prêtés aux clients. Environ 140 euros la chambre double.

Du côté de la « ville blanche », choisir assurément le Palais de Mahé, LA référence de Pondichéry, un bijou de charme colonial. Chambre double autour de 200 euros. www.cghearth.com

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